en théorie et en pratique
Prise de conscience d’un besoin : la question m’a été posée
Les passagers ont laissé l’impression, suite à leurs témoignages à chaud, qu’ils avaient manqué d’informations vitales. Ils ont été choqués, indignés, scandalisés que ce soit l’équipage qui se soit efforcé de les encadrer maladroitement (je résume). Ils ont apparu sur l’écran de nos téléviseurs et de nos ordinateurs choqués, indignés, scandalisés que le Commandant qui commande n’ait pas été présent auprès de chacun d’entre eux sur chaque point de rassemblement.
I – Relativisons
Il s’agissait de témoignages de personnes frigorifiées, sous le choc, qui avaient perdu leurs papiers et toutes leurs affaires, qui ont été, alors qu’elles étaient encore blotties sous leur couverture de survie, bombardées de questions par des personnes qui auraient eu la mention très bien au BTS Force de Vente en France.
Je précise que les images qui nous sont remises sous le nez à chaque fois que l’accident est évoqué datent d’il y a 6 mois à présent, que les survivants ont fait depuis un douloureux chemin personnel et que les familles des disparus en sont à la moitié de la durée du grand deuil
et que si ce n’était pas utile à la conversation, personnellement, je leur laisserais gérer en paix le traumatisme consécutif à la catastrophe qu’ils ont malheureusement vécue.
Ces mêmes personnes qui ont survécu à un accident qui a fait trente morts et encore deux disparus, après la phase de colère que ce soit arrivé mêlée à la honte d’être encore de ce monde alors qu’il manque des croisiéristes et des membres de l’équipage à l’appel ont besoin dans un second temps d’ être reconnues comme victimes. D’où les procès, en attente DU Procès.
II – Qu’est-ce qui est prévu pour l’évacuation rapide d’un paquebot géant ?
pour les passagers
- une information par vidéo dans la cabine à consulter dès l’entrée en cabine
- un exercice pratique programmé pour le lendemain matin, ce qui est conforme aux textes
pour les officiers
- amener le bateau avec ses passagers en position sécurisée qui permettra leur évacuation dans les meilleures conditions possibles
- faire l’intermédiaire entre le Commandant qui commande* et l’équipage
- il appartient au Commandant qui commande de coordonner personnellement le tout ainsi que d’assurer les communications téléphoniques extérieures nécessaires à l’organisation des secours à l’échelle de la Concordia et de sa cargaison humaine, soit 3000 + 1000 = 4000 personnes environ
pour l’équipage
- être attentif à toutes les sonneries car celles qui précèdent la sonnerie d’évacuation des passagers sont autant de consignes qu’ils doivent suivre immédiatement à la lettre
- créer une ambiance rassurante et par là maintenir le calme parmi les passagers
- encadrer l’évacuation jusqu’au bout
III – Mise en situation :
matérielle
Regardez la taille des personnes qui sont sur le bateau bleu
par rapport au bâtiment à évacuer dont on ne voit que la moitié
ils paraissent un peu plus grands que ce qu’ils ne sont en réalité
parce qu’ils sont plus près de nous que la Costa Concordia.
En arrière-plan, la Costa Serena, sa sœur jumelle la salue
lors de la reconstitution de l’accident par les experts.
humaine
IV Qu’est-ce que les passagers de la Concordia savaient, en principe, réellement avant l’accident, le soir du 13 janvier 2012 ?
ils savaient par une vidéo à visionner dès l’installation dans la cabine
1°/ quelle sonnerie ils entendraient en cas d’alarme
2°/ la marche à suivre en cas d’alarme :
—-mettre le gilet de sauvetage et le mettre aux enfants
—-prendre les objets indispensables et les pièces d’identité
—-attendre dans la cabine qu’on leur donne le signal du départ
—-se rendre alors dans le calme au point de rassemblement indiqué sur le plan affiché dans leur cabine
ils savaient par les membres d’équipage qui quadrillaient le bateau
1°/ que le Commandant avait tout sous contrôle dans la situation d’urgence où la Costa Concordia se trouvait
2°/ qu’il fallait faire l’effort de s’obliger à rester calme
3°/ qu’il y avait des professionnels de la mer pour les encadrer
les officiers, sous le commandement de Francesco SCHETTINO,
— ont ramené le bateau blessé, penché, auquel il ne restait que les deux petits propulseurs d’étrave* en état de marche à 13 m de la côte et 300 m du port de l’ile du GIGLIO en utilisant les courants de surface et le vent de Nord Ouest qui soufflait un peu ce soir là
— ont remplacé les instruments de communication internes que le black-out qui a suivi l’accident a empêché de fonctionner
— ont encadré l’équipage, pris les décisions qu’il était de leur droit et de leur devoir de prendre sur place compte tenu de la situation qu’ils constataient
— à droite, ont accompagné le Commandant SCHETTINO sur le rocher le plus proche de la Concordia et ont continué à servir
— à gauche, les chaloupes restées au niveau du pont 4 ne pouvant plus être descendues non plus, ont continué à coordonner l’évacuation des 3000 passagers en mettant en place des échelles de corde
l’équipage, sous la direction des officiers, a fait ce qu’il devait faire
— un groupe est parti à terre en premier pour accueillir et orienter les passagers au point de débarquement improvisé
— ceux qui devaient drainer les flux entre les cabines et les points de rassemblement ont encadré et régulé le trafic
— ceux qui devaient aider les passagers à s’installer dans les chaloupes l’ont fait et les ont ensuite fait descendre jusqu’au niveau de la mer tant que la gite du navire le leur a permis
les passagers
— ont oublié qu’aller en vacances en mer implique qu’on soit en mer justement, sur une eau vivante elle-même limitée par ce qu’on appelle le fond et que plus c’est beau parce que tourmenté en surface, plus c’est périlleux parce que tourmenté au fond aussi
— ont oublié que pour guider un bateau il faut tout un équipage en général et que pour piloter un bateau géant en particulier, il y a plusieurs Commandants aux côtés du Commandant qui commande et toute une voie hiérarchique à descendre avant que les ordres ne soient exécutés au niveau du navire
— ont oublié que les réactions d’un navire géant qui manœuvre dans l’eau ne peuvent pas être celles d’une Smart Duo sur une route goudronnée, c’est plus lent déjà quand tout va bien, alors quand les propulseurs principaux ne répondent plus, qu’il ne reste plus que ceux qui servent d’habitude à faire les petites manœuvres précises dans les ports, le vent comme pour Christophe COLOMB et les courants de surface dont je ne savais même pas il y a seulement 6 mois qu’ils existaient !
—- ont oublié qu’on ne confie pas un vaisseau de je ne sais combien de million d’euros à n’importe qui et ce à tous les niveaux, qu’ils avaient avec eux pour les sauver les meilleurs marins du monde et que lorsqu’on est en tout 4000 à devoir évacuer la Concordia, on fait confiance et on obéit aux mille d’entre les 4000 qui sont des professionnels de la mer et qui s’efforcent de vous encadrer
— ont oublié que prendre le billet, c’est accepter ce qui est écrit dessus en tout petits caractères en plus du programme des activités et des noms des escales, à savoir : on sait qu’on prend un risque et on ne viendra pas se plaindre juridiquement parlant s’il y a un pépin
(c’est général, je sais, mais ça n’en fait pas un procédé honnête)
— sont excusables parce que la peur est un sentiment qui ne se commande pas
— sont excusables parce que c’est tout un travail sur soi à subir que d’être un survivant à un accident et à un deuil
— sont excusables parce qu’ils sont mal informés par les journaux-web de tous les pays, il y a des contre-sens dramatiques surtout pour leurs conséquences dans les esprits de ceux qui y étaient et leurs familles qui ont été faits lors de la traduction rapide des informations d’une langue dans l’autre, au niveau des faits, des citations, des commentaires, des sous-titrages des vidéos, de leurs manipulations pour leur donner la durée souhaitée, lors des essais d’analyse faits à partir de « ça ».
Note de bas de page de Mézigue :
* le Commandant qui commande : celui qui est en haut de la pyramide hiérarchique et qui est , dans l’imaginaire public, seul maitre à bord après Dieu – en fait celui qui est le responsable de tout parce qu’il incarne à lui tout seul l’ensemble des Officiers de la passerelle, les Compagnies qui l’emploient, Dieu lui-même qui a permis “ça” et pourquoi pas, toutes les autorités auxquelles ils se sont heurtés dans leur vie : leur père, leur conjoint, leur patron.
#1 par krn le 4 août 2012 - 10 h 49 min
Le naufrage n’a fait que 32 morts. C’est inespéré. Il aurait pu y en avoir des milliers. L’évacuation s’est terminée à 6 heures du matin. Tous ceux qui se trouvaient encore dans le navire à 2 heures, et je compte large, ne seraient plus là pour en parler. La rage est dans l’air du temps. Il faut mettre la faute sur quelqu’un, pour pouvoir déverser toute la bile qu’on a accumulée depuis des lustres à cause des soucis qui minent les uns et les autres.
Nos ancêtres vivaient avec les intempéries, les famines et les catastrophes naturelles. Les accidents, les maladies et la mort faisaient partie de la vie. Nous vivons maintenant comme s’il ne devait nous arriver que du bonheur dans une vie éternelle. Il y a quelques années, un ferry a coulé en Casamance, faisant 1863 victimes officielles, dans l’indifférence générale mais on fait les gros titres de ces 32 disparus. Le chagrin de la maman de Mylène est honteusement exploité par la presse, qui nous dissimule l’important et met en avant la rubrique des chiens écrasés. Ce qui est révoltant, c’est ça.
#2 par claudielapicarde le 2 août 2012 - 10 h 31 min
C’est comme évacuer une ville mais en pleine mer, ça ne s’improvise pas et il faut prendre en compte le facteur panique.
Qui sait comment il aurait réagi.
Bonne journée
#3 par Monique-Mauve le 2 août 2012 - 10 h 43 min
Oui Claudie, une ville, comme au Moyen Âge la Cité de Carcassonne.
Bisou du matin, Claudie.
#4 par krn le 1 août 2012 - 18 h 32 min
Je n’ai aucune expérience en matière de gestion des sinistres et je dois avouer que passer ne serait-ce qu’une semaine sur un navire de croisière serait une punition. J’ai horreur des villes, des centres commerciaux et de la foule en général, et 4000 personnes, pour moi, c’est l’enfer, mais j’aimerais donner un point de vue.
D’abord, je pense essentiel de réduire la taille des navires.
Ensuite, il me semble que personne n’est aussi qualifié pour gérer plusieurs personnes qu’une mère de famille et je pense que l’encadrement des naufragés devrait être confié à des femmes.
La famille est le groupe sur lequel repose notre société. Les familles devraient donc être prioritaires et jamais séparées. Les célibataires passeraient en dernier.
Pourquoi pas un regroupement par langue avec des interprètes qui traduisent les paroles du commandant qui dit exactement ce qui se passe ? Ça ne sert à rien de raconter des histoires, quand ça va mal, ça se sent et il faut faire confiance aux gens.
J’ai pris le ferry pendant 10 ans toutes les semaines et je n’ai jamais vu une cassette, jamais fait un exercice et jamais eu d’instructions. Il y avait 650 personnes au plus et j’étais tranquille. Vu l’efficacité du personnel de bord pour nous réveiller à l’arrivée, je savais qu’on ne m’oublierait pas dans ma cabine.
#5 par Al. le 1 août 2012 - 4 h 12 min
Vu de l’extérieur, tout parait toujours simple. Trop d’organisation nuit à la bonne marche des opérations. Je reviens sur ce qui me parait être complètement fou, ranger les gens par ordre alphabétique avant de leur permettre d’embarquer dans les canots qui peuvent leur sauver la vie, alors qu’il y a urgence car le navire risque de leur tomber dessus. C’est un facteur de panique à coup sûr, car les gens ont soudain le sentiment que les procédures passent avant l’humanité.
La seule Norvégienne rescapée du Concordia a souligné que c’est ce qui l’avait le plus effrayée et qu’à ce moment, elle avait du prendre les choses en main et faire monter elle-même les gens dans les canots à la place du personnel de Costa Croisières, qui oubliait de parler en anglais et que personne ne comprenait plus. Je ne supporte pas la bêtise lorsqu’elle peut mener à la mort de personnes qui ont suivi les consignes et se trouvent au bon endroit, la porte de sortie vers la vie. Devant cette attitude, je comprends que des gens aient préféré sauter à l’eau et tenter le tout pour le tout plutôt que de finir sous l’épave. J’en aurais fait partie.
Parce qu’on s’appelle William ou Zoé on a plus que les autres le droit de finir noyé ? C’est une forme d’injustice particulièrement grave. Je suis atterré.
Ce que je crois, c’est que tout le monde se fout de la sécurité. On mise sur le fait qu’un accident ne peut pas se produire, que ce soit au siège de l’armateur, sur la passerelle ou chez les passagers. La croisière s’amuse. Jusqu’au jour où ça arrive et où on se rend compte que les règlements idiots ne fonctionnent pas.
#6 par Monique-Mauve le 1 août 2012 - 6 h 16 min
Votre remarque sur les listes alphabétiques est particulièrement justifiée.
Elle me touche parce qu’habituée aux exercices d’alarme-incendie et alarme radioactivité, je tenais particulièrement à leur respect, à cette sécurité qu’on a évacué tout le monde. Parce que, voyez-vous, si j’ai toujours bien vérifié à vue que je n’oubliais personne avant de fermer la porte de la classe à clef (à cause des vols et ça ralentirait les secours car il n’y a que quelques passes dans l’établissement), par contre j’ai toujours oublié, les professeurs oublient de prendre la liste d’appel.
J’avais pris mon sac à main si j’en avais un (car il m’arrivait de mettre tout ce dont j’avais besoin pour circuler dans mon cartable), laissé mon cartable dans la salle de classe, obligé les élèves à laisser le leur, enfilé un vêtement chaud selon la saison et dans ce cas obligé les élèves à en faire autant. Mais une fois arrivée au point de rassemblement, je n’avais pas l’outil qui m’aurait été indispensable pour vérifier que j’avais bien mis tout mon monde en lieu sur.
Et ça, en cas d’incendie, ça peut sauver des vies car chaque minute compte. Le signaler ou aller le chercher. Sur le terrain et vu que les professeurs n’ont pas de numéro de téléphone joignable à ce moment là, je pense que le réflexe serait alors de laisser ceux qui sont sauvés pour aller chercher celui qui est resté, il n’y a pas de bonne solution. Comment se comporteraient alors les élèves laissés seuls ?
Plus tard, quand je suis passée en secrétariat, j’ai encore plus pris conscience de l’importance des listes alphabétiques pour le bon suivi des opérations sur le terrain.
Et voilà que vous me faites prendre conscience que leur utilisation était inhumaine pour l’évacuation de la Concordia. Faudrait-il porter un bracelet de piscine ou d’hôpital avec une puce adéquatement programmée en permanence ?
Je pense aussi aux avalanches en montagne où les chiens font des merveilles mais il y a parfois des morts. Impopulaire l’idée, pourtant elle est bien acceptée sans la puce en piscine pour retrouver ses affaires au vestiaire, elle est bien acceptée, sans la puce aussi, à l’hôpital où elle n’évite pas toutes les erreurs d’opération.
Il est du devoir de chacun de réfléchir à ce qui peut être fait pour diminuer les risques, d’imposer les progrès en ce sens, de les accepter pour soi-même, et de reconnaitre et accepter aussi que pour nous et pour nos proches, le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais. Les accidents font partie de la vie, la mort fait partie de la vie.