Archives de 31 juillet 2012

L’évacuation d’un paquebot géant

en théorie et en pratique

Prise de conscience d’un besoin : la question m’a été posée

Les passagers ont laissé l’impression, suite à leurs témoignages à chaud, qu’ils avaient manqué d’informations vitales. Ils ont été choqués, indignés, scandalisés que ce soit l’équipage qui se soit efforcé de les encadrer maladroitement (je résume). Ils ont apparu sur l’écran de nos téléviseurs et de nos ordinateurs choqués, indignés, scandalisés que le Commandant qui commande n’ait pas été présent auprès de chacun d’entre eux sur chaque point de rassemblement.

 

I – Relativisons

Il s’agissait de témoignages de personnes frigorifiées, sous le choc, qui avaient perdu leurs papiers et toutes leurs affaires, qui ont été, alors qu’elles étaient encore blotties sous leur couverture de survie, bombardées de questions par des personnes qui auraient eu la mention très bien au BTS Force de Vente en France.

Je précise que les images qui nous sont remises sous le nez à chaque fois que l’accident est évoqué datent d’il y a 6 mois à présent, que les survivants ont fait depuis un douloureux chemin personnel et que les familles des disparus en sont à la moitié de la durée du grand deuil

et que si ce n’était pas utile à la conversation, personnellement, je leur laisserais gérer en paix le traumatisme consécutif à la catastrophe qu’ils ont malheureusement vécue.

Ces mêmes personnes qui ont survécu à un accident qui a fait trente morts et encore deux disparus, après la phase de colère que ce soit arrivé mêlée à la honte d’être encore de ce monde alors qu’il manque des croisiéristes et des membres de l’équipage à l’appel ont besoin dans un second temps d’ être reconnues comme victimes. D’où les procès, en attente DU Procès.

 

II – Qu’est-ce qui est prévu pour l’évacuation rapide d’un paquebot géant ?

pour les passagers

  • une information par vidéo dans la cabine à consulter dès l’entrée en cabine
  • un exercice pratique programmé pour le lendemain matin, ce qui est conforme aux textes

pour les officiers

  • amener le bateau avec ses passagers en position sécurisée qui permettra leur évacuation dans les meilleures conditions possibles
  • faire l’intermédiaire entre le Commandant qui commande* et l’équipage
  • il appartient au Commandant qui commande de coordonner personnellement le tout ainsi que d’assurer les communications téléphoniques extérieures nécessaires à l’organisation des secours à l’échelle de la Concordia et de sa cargaison humaine, soit 3000 + 1000 = 4000 personnes environ

pour l’équipage

  • être attentif à toutes les sonneries car celles qui précèdent la sonnerie d’évacuation des passagers sont autant de consignes qu’ils doivent suivre immédiatement à la lettre
  • créer une ambiance rassurante et par là maintenir le calme parmi les passagers
  • encadrer l’évacuation jusqu’au bout

 

III – Mise en situation :

matérielle

costa

Regardez la taille des personnes qui sont sur le bateau bleu

par rapport au bâtiment à évacuer dont on ne voit que la moitié

ils paraissent un peu plus grands que ce qu’ils ne sont en réalité

parce qu’ils sont plus près de nous que la Costa Concordia.

En arrière-plan, la Costa Serena, sa sœur jumelle la salue

lors de la reconstitution de l’accident par les experts.

humaine

organigramme02

IV Qu’est-ce que les passagers de la Concordia savaient, en principe, réellement avant l’accident, le soir du 13 janvier 2012 ?

 ils savaient par une vidéo à visionner dès l’installation dans la cabine

‎1°/ quelle sonnerie ils entendraient en cas d’alarme

‎2°/ la marche à suivre en cas d’alarme :
—-mettre le gilet de sauvetage et le mettre aux enfants
—-prendre les objets indispensables et les pièces d’identité
—-attendre dans la cabine qu’on leur donne le signal du départ
—-se rendre alors dans le calme au point de rassemblement indiqué sur le plan affiché dans leur cabine

ils savaient par les membres d’équipage qui quadrillaient le bateau

1°/ que le Commandant avait tout sous contrôle dans la situation d’urgence où la Costa Concordia se trouvait

2°/ qu’il fallait faire l’effort de s’obliger à rester calme

‎3°/ qu’il y avait des professionnels de la mer pour les encadrer

 

les officiers, sous le commandement de Francesco SCHETTINO,

— ont ramené le bateau blessé, penché, auquel il ne restait que les deux petits propulseurs d’étrave* en état de marche à 13 m de la côte et 300 m du port de l’ile du GIGLIO en utilisant les courants de surface et le vent de Nord Ouest qui soufflait un peu ce soir là
— ont remplacé les instruments de communication internes que le black-out qui a suivi l’accident a empêché de fonctionner
— ont encadré l’équipage, pris les décisions qu’il était de leur droit et de leur devoir de prendre sur place compte tenu de la situation qu’ils constataient
— à droite, ont accompagné le Commandant SCHETTINO sur le rocher le plus proche de la Concordia et ont continué à servir
— à gauche, les chaloupes restées au niveau du pont 4 ne pouvant plus être descendues non plus, ont continué à coordonner l’évacuation des 3000 passagers en mettant en place des échelles de corde

 

l’équipage, sous la direction des officiers, a fait ce qu’il devait faire

— un groupe est parti à terre en premier pour accueillir et orienter les passagers au point de débarquement improvisé

ceux qui devaient drainer les flux entre les cabines et les points de rassemblement ont encadré et régulé le trafic

— ceux qui devaient aider les passagers à s’installer dans les chaloupes l’ont fait et les ont ensuite fait descendre jusqu’au niveau de la mer tant que la gite du navire le leur a permis

 

les passagers

ont oublié qu’aller en vacances en mer implique qu’on soit en mer justement, sur une eau vivante elle-même limitée par ce qu’on appelle le fond et que plus c’est beau parce que tourmenté en surface, plus c’est périlleux parce que tourmenté au fond aussi

— ont oublié que pour guider un bateau il faut tout un équipage en général et que pour piloter un bateau géant en particulier, il y a plusieurs Commandants aux côtés du Commandant qui commande et toute une voie hiérarchique à descendre avant que les ordres ne soient exécutés au niveau du navire

— ont oublié que les réactions d’un navire géant qui manœuvre dans l’eau ne peuvent pas être celles d’une Smart Duo sur une route goudronnée, c’est plus lent déjà quand tout va bien, alors quand les propulseurs principaux ne répondent plus, qu’il ne reste plus que ceux qui servent d’habitude à faire les petites manœuvres précises dans les ports, le vent comme pour Christophe COLOMB et les courants de surface dont je ne savais même pas il y a seulement 6 mois qu’ils existaient !

—- ont oublié qu’on ne confie pas un vaisseau de je ne sais combien de million d’euros à n’importe qui et ce à tous les niveaux, qu’ils avaient avec eux pour les sauver les meilleurs marins du monde et que lorsqu’on est en tout 4000 à devoir évacuer la Concordia, on fait confiance et on obéit aux mille d’entre les 4000 qui sont des professionnels de la mer et qui s’efforcent de vous encadrer

— ont oublié que prendre le billet, c’est accepter ce qui est écrit dessus en tout petits caractères en plus du programme des activités et des noms des escales, à savoir : on sait qu’on prend un risque et on ne viendra pas se plaindre juridiquement parlant s’il y a un pépin

(c’est général, je sais, mais ça n’en fait pas un procédé honnête)

— sont excusables parce que la peur est un sentiment qui ne se commande pas

— sont excusables parce que c’est tout un travail sur soi à subir que d’être un survivant à un accident et à un deuil

— sont excusables parce qu’ils sont mal informés par les journaux-web de tous les pays, il y a des contre-sens dramatiques surtout pour leurs conséquences dans les esprits de ceux qui y étaient et leurs familles qui ont été faits lors de la traduction rapide des informations d’une langue dans l’autre, au niveau des faits, des citations, des commentaires, des sous-titrages des vidéos, de leurs manipulations pour leur donner la durée souhaitée, lors des essais d’analyse faits à partir de « ça ».

 

Note de bas de page de Mézigue :

* le Commandant qui commande : celui qui est en haut de la pyramide hiérarchique et qui est , dans l’imaginaire public, seul maitre à bord après Dieu – en fait celui qui est le responsable de tout parce qu’il incarne à lui tout seul l’ensemble des Officiers de la passerelle, les Compagnies qui l’emploient, Dieu lui-même qui a permis “ça” et pourquoi pas, toutes les autorités auxquelles ils se sont heurtés dans leur vie : leur père, leur conjoint, leur patron.

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