ou comment un Commandant peut se trouver hors de la route qu’il a demandée sans le savoir
Le Commandant du ROYAL MAJESTY, paquebot de croisière transportant 1462 passagers et 620 hommes d’équipage, s’en est aperçu trop tard. Son bateau s’est échoué la nuit du 10 juin 1995 à 17 milles de distance de la route qu’il avait demandée. C’était sur le banc de sable Rose and Crown et il n’y a eu ni morts ni blessés, des dégâts matériels importants ont fait qu’il y a eu une enquête.
rapport d’accident en anglais de 22 pages là : http://ti.arc.nasa.gov/m/profile/adegani/Grounding%20of%20the%20Royal%20Majesty.pdf
résumé en français des échanges Commandant – Officiers de quart là : http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=14226
J’explique :
Le bateau devait arriver au port de BOSTON en suivant un chenal abondamment balisé lumineusement parce qu’à sa gauche il y avait de multiples dangers sous forme de bancs de sable et en particulier une ile : NANTUCKET et le banc sable Rose and Crown parmi beaucoup d’autres.
Il était muni des instruments de navigation les plus sophistiqués : compas, radar, pilote automatique qui s’appelait NACOS 25, GPS lié aux satellites et LORAN-C qui est un autre système de positionnement pour plus de sûreté.
Le problème est venu de l’antenne reliée au GPS dont le fil électrique s’est cassé une heure seulement après le départ. Cela a été signalé par un seul tout petit « bip » que personne n’a entendu parce qu’il aurait fallu y être à côté et que, par un malheureux hasard, il n’y a eu personne là.
Ensuite, le système de positionnement a envoyé les messages :
GPS, 1:11:46, latitude, longitude, invalid.
GPS, 1:12: 09, latitude, longitude, invalid.
GPS, 1:12: 51, latitude, longitude, invalid.
…
Invalid : ne vous fiez pas à moi, je donne des renseignements qui ne sont plus bons, la machine prévenait désespérément, mais l’appareil suivant ne pouvait pas le savoir, l’interface entre eux ne recevait que tout ce qu’il y avait avant le mot d’alerte.
Alors le pilote automatique a conduit le bateau en faisant une erreur d’une fraction de mille par heure vers l’Ouest toute la nuit. Ça s’est accumulé puisque personne n’est intervenu dans l’automatisme et à l’échouage, on en était à 17 milles.
et voilà ce que l’écran radar montrait tout en n’y étant pas.
Le Commandant a demandé aux Officiers de quart qui se sont succédé à la barre si tout allait bien et ils lui ont répondu que oui, tous les instrument indiquaient la bonne route et les vérifications qui court-circuitaient l’erreur l’avaient confirmé. Il est venu et a regardé les quadrants et lui non plus n’a pas vu les deux trop petites marques qui étaient apparues sur un des cadrans après le « bip » :
SOL et DR, et il aurait fallu voir les deux pour s’apercevoir de quelque chose et prendre les mesures salvatrices, revenir aux bonnes vieilles méthodes de la Marine à voile par exemple.
Les vigies avaient bien dit quelles lumières elles voyaient et où au fur et à mesure, leur couleur, leur fréquence, puis que l’eau changeait de couleur, ce qui était bizarre. Mais l’Officier de quart avait toujours conclu en confiance avec ses autres renseignements et il a répondu « oui, on a passé la balise » alors qu’il n’avait repéré « quelque chose » que sur son écran radar, et vu l’échelle où il l’avait réglé, il n’avait pas pu se rendre compte que ce n’était pas la première balise du chenal puis la seconde.
Et est arrivé le moment où le bateau a vibré, s’est penché d’un côté, puis de l’autre, il a talonné.Le Commandant surgit sur la passerelle, le jour commence à peine à se lever. Il voit l’ile de NANTUCKET à sa gauche sur le radar qu’il vient d’allumer à babord, il crie : « à droite toute ! ». Trop tard, le ROYAL MAJESTIC s’est échoué.
Ils n’ont pas su parce qu’ils n’avaient pas appris au cours de leur formation, et aucun ne pouvait deviner que les appareils dont on avait doté leur paquebot n’avaient pas été soigneusement adaptés entre eux au point de ne pas transmettre une chose aussi importante !
Les deux Officier de quart qui se sont succédé ont eu tellement confiance en ce système moderne, qu’ils n’ont pas réalisé que les observations visuelles ne cadraient pas.
Ils ont reporté deux fois au Commandant sans préciser « j’ai vu la bouée que vous me demandez – sur le radar seulement ». Dommage parce que ce n’était pas elles.
Ils avaient un sondeur, je crois qu’il n’était pas allumé. Vu la route qu’ils devaient suivre, il n’y en avait pas besoin. Le pilote automatique les tiendrait loin des bas-fonds.
L’accident du Royal Majesty a été analysé, l’analyse a été suivie de quelques recommandations :
- observer les amers (à vue) et avertir le commandant en cas d’absence d’observation d’un amer important,
- utiliser le sondeur,
- utiliser plusieurs systèmes pour déterminer la position.
Des recommandations seulement.
C’était en 1995.
Il se peut que quelque chose de semblable soit arrivé la nuit du 13 janvier 2012 sur la passerelle de la Concordia.
#1 par Al le 23 avril 2013 - 20 h 52 min
Il s’agit d’une grossière erreur de navigation imputable aux officiers. Ces recommandations, elles sont faites à tous les marins, à tous les niveaux, depuis qu’il existe des machins qui vont sur l’eau.
L’enregistrement radar du trajet du Costa Concordia montre bien l’endroit réel où se trouvait le navire. Le personnel de quart a négligé les indications des instruments et n’a pas vérifié sur les cartes réglementaires puisqu’elles étaient absentes. Cet accident a été causé par une successions d’erreurs humaines et les responsabilités sont partagées entre les officiers de quart et la compagnie Costa Croisières.
Les instruments informatiques ne prennent pas de décisions, ils sont programmés par des humains. Lorsque quelque chose ne fonctionne pas, il faut chercher comment on a utilisé la machine.
Mais surtout, c’est la dernière ligne qui retient mon attention. Un rapport d’enquête sur un accident en mer plus fiable que celui-ci qui porte le mot « gouv » dans son adresse ? Facile. Il n’y a qu’à se référer aux enquêtes officielles sur les naufrages des ferries Scandinavian Star et Estonia, On voit tout de suite où est la fiablilté.
#2 par Monique-Mauve le 23 avril 2013 - 10 h 23 min
1/ à la relecture, pour moi ce billet est parfaitement neutre.
2/ je ne vois pas comment trouver un rapport d’enquête sur un accident en mer plus fiable que celui-ci qui porte le mot « gouv » dans son adresse.