Archives de 20 août 2012

L’equipaggio c’è

tous à bord, nous avons assuré !
Nous avons connu l’équipage de la Concordia par ce qu’en ont dit les passagers à chaud, présenté à chaud aussi par les journalistes-web dont j’ai fini par comprendre que leur travail normal est de diffuser les derniers faits et les dernières rumeurs. En gros, ça revenait à : “ils se sont occupés de nous au lieu des officiers qu’on aurait acceptés à la rigueur à la place du vrai Commandant” (je résume l’impression générale qui a du faire plaisir aux intéressés).

Faisons sa connaissance sur une brève vidéo de l’époque somme toute suffisamment modérée :

Publiée le 14 janv. 2012 par euronewsfr dans YouTube

L’équipage d’un bateau de croisière est composé, en commençant par ceux que les passagers voient le plus, de personnel d’animation, de personnel hôtelier et de personnel navigant :

        le personnel d’animation : ceux que vous allez voir, ils sont là pour votre plaisir,

        le personnel hôtelier : ceux que vous croisez sans les voir, ils sont là pour votre confort,

        le personnel navigant : ceux que vous ne voyez ni ne croisez jamais, sans eux il n’y aurait pas du tout de croisière.

 En réponse à la question – une parmi les autres – qu’on peut se poser, à savoir :

pourquoi la Concordia avait-elle quitté Civitavecchia

avec les portes étanches ouvertes ?

le souriceau de bord de la Concordia à terre se demande si en plus de l’explication qui circule

(c’était pour faciliter la circulation du personnel),

le Commandant SCHETTINO ne permettait pas à l’air de circuler plus facilement

dans un local clos où fonctionnaient des moteurs au fuel.

Potemkine, vous connaissez ?

Les Officiers de la passerelle ont vu soudain le Commandant SCHETTINO réagir à la vue de la mousse sur l’eau, il n’était pas Commandant qui commande, il était au poste de vigie, avec des jumelles à infra-rouge qui lui permettaient d’avoir autant de renseignements par les yeux qu’en plein jour (soit dit en passant, devant accommoder à l’infini, il n’avait pas pris sur lui ses lunettes pour voir de près). C’était alors le Commandant AMBROSIO qui donnait les ordres qui parviendraient au timonier en descendant la voie de commandement règlementaire.

Le Commandant SCHETTINO a hurlé “Master takes the comms !”

la formule pour dire: “le Commandant qui commande prend le commandement !”. Il se croyait loin de la côte du GIGLIO, à la distance de sécurité, sur la route qu’il avait tracée et qu’il avait demandé à l’Officier dont c’est le travail (le cartographe probablement) de rentrer dans le radar, et voilà qu’il venait de voir, là, droit devant, de ses yeux vu de l’écume, ils allaient droit sur un écueil, à la vitesse de 15 nœuds.

Maintenant, les Officiers de quart, savaient aussi qu’il se passait quelque chose.

Les autres Officiers dormaient probablement pratiquement tous en ayant pleine confiance en leur collègues qui veillaient. Sur la passerelle, les ordres de sont succédé très vite : “A droite toute” pour essayer d’éviter l’écueil. Ça n’est pas passé. Dans la salle des machines, depuis un moment déjà, ça vibrait de plus en plus, plus que lors du dernier passage devant le GIGLIO, le fond de la mer était tout proche sous la coque. “A gauche toute !”, si la proue passait, il fallait éviter de cogner avec la poupe. Seulement, elle a cogné.

Et elle a cogné dur, la Concordia, tout en continuant à avancer. Elle avait failli rentrer dans le gros écueil du SCOLE et elle était en train de se blesser à mort sur un éperon rocheux immergé. “Bum-bum”. Je cogne, je déchire sur tout ce que je peux – je m’encastre en toi, je vais te déséquilibrer, tu vas finir comme tu pourras, chargée de mes 80 tonnes sur ta gauche a dit le scoglietto.

Et tout le monde a su qu’il se passait quelque chose.

Tout l’équipage a su, ceux qui étaient à leur poste de travail et qui ont continué à sourire comme ceux qui dormaient du sommeil du juste dans leur cabine sans fenêtre, en dessous du niveau de l’eau.

Ces derniers se sont préparés. Tous ont attendu les signaux sonores qui allaient leur signifier les ordres de la passerelle.

Tous les passagers ont su, qui étaient dans les restaurants ou ailleurs à profiter de l’une des nombreuses attractions qu’offre COSTA à bord de ses navires dont ce passage en longeant la côte de l’ile du GIGLIO, bien au chaud derrière l’une des multiples baies vitrées, qui aurait du être le premier d’une belle promenade nocturne. Ils ont commencé à s’inquiéter et du choc et de la gîte.

Les Officiers qui n’étaient pas sur la passerelle ont compris. En civil, en urgence, ils sont accourus d’eux-mêmes se mettre à la disposition de leur Commandant sur la passerelle. Froids comme des glaçons par réflexe professionnel. Et aussi, parce qu’à un moment comme celui-là, on n’a pas le temps de paniquer quand on travaille, tout le cerveau est super-concentré.

Il y a eu l’après-choc, quand l’eau qui s’engouffrait dans la coque n’avait pas encore atteint les groupes électrogènes.

Les moteurs noyés, le navire était ingouvernable. Alors, le Commandant SCHETTINO a commencé à naviguer à la voile et au courant.

Black-out, les lumières s’éteignent, à part les veilleuses de sécurité et les passagers s’affolent.

Les groupes électrogènes prennent le relais et la Concordia se rallume.

Mais la Concordia penche, les passagers s’affolent un peu plus car c’est long. Il ne pouvait pas expliquer, le Commandant SCHETTINO : il improvisait. Il se trouvait dans la même situation qu’un coureur cycliste dans une étape de montagne, qui n’aurait pas reconnu le tracé avant, même pas théoriquement sur une carte, alors qu’ils apprennent par cœur les tournants et les pentes avant le départ.

La communication intérieure est coupée et les ascenseurs ne fonctionnent plus : les Officiers doivent à présent aller chercher les renseignements techniques à pied, retour à pied aussi, plus de 8 étages, le lieu du choc est au sous-sol.

L’équipage garde le sourire en tendant l’oreille.

L’avenir dépend entièrement du Commandant qui commande.

A partir du moment où la Concordia n’a plus disposé ni de ses moteurs ni de ses gouvernails, le Commandant SCHETTINO l’a utilisée comme une voile géante qu’aurait “gonflée” le vent de nord-ouest qui soufflait ce soir là. La Concordia était presque une Caravelle sur une mer dont il connaissait le courant de surface avec lequel il lui fallait compter : il allait l’aider à avancer tout en tendant à le déporter vers le Nord.

Pour tous, cela a duré jusqu’à l’échouement.

Les passagers étaient inquiets, ils le montraient plus ou moins, chacun selon son tempérament, son habitude des croisières …

L’équipage donnait le change et continuait son service en attendant les signaux sonores.

Les Officiers étaient tous au travail et n’avaient pas le temps de penser à autre chose.

Le Commandant assurait.

La Concordia obéissait, se rapprochait de la côte, lentement, si lentement, trouvait un point d’appui et s’y installait à sa façon. Souvenez-vous : elle est arrivée avec une gîte de 20° et lorsque son Commandant l’a quittée à tribord, sa gîte était de 80°, elle ne s’est stabilisée que le lendemain dans la matinée.

C’est lorsqu’elle n’a presque plus bougé qu’a retenti la sonnerie de l’abandon : sept coups puis un huitième.

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Il faut être juste : tous les passagers ne se sont pas conduits comme les témoignages à chaud nous l’avaient fait croire : sur la photo ci-dessus vous pouvez voir ceux qui, sur les ponts 3 et 4, à l’avant, ont bien suivi les consignes. Entre parenthèses, vous pouvez constater aussi les deux lumières rouges, tout en haut, presque au-dessus de la Concordia dans la nuit noire : avec une troisième qui n’est pas dans le champ, c’est le signal officiel, international, que le navire a été échoué.

Avant que ne “commence vraiment l’évacuation”, avant l’embarquement, l’équipage est devenu un seul corps de marins. Et parmi ces marins, un groupe était plus spécialement chargé de dégager les chaloupes de sauvetage du pont 4 et de les faire descendre jusqu’aux points d’embarquement au niveau du pont 3, un groupe s’est réparti aux points stratégiques du bateau, les portes du pont 3, un groupe s’est rendu aux points de rassemblement prévus sur les ponts 3 et 4 et un groupe s’est réparti entre tous les couloirs de la partie hôtel.

Une partie des Officiers est allée sur place vérifier, contrôler, rassurer, assurer une communication qui ne pouvait plus se faire par radio. Une partie a assuré la circulation des renseignements techniques dans le sens terrain-passerelle. Là-haut, le Commandant SCHETTINO était secondé par l’équipe d’Officiers que vous avez tous vue travailler avec célérité et maitrise sur la vidéo tournée sur le moment ainsi qu’il l’est prévu par les textes.

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Les passagers, mon Dieu !

Quand ils sont arrivés directement aux points d’embarquement, les chaloupes n’étaient pas prêtes à les accueillir, elles n’étaient même pas descendues du pont 4 ! La passerelle avait eu beau envoyer à l’équipage les sonneries convenues au moment où il le fallait à partir du moment où la Concordia avait été sécurisée, eux qui n’y comprenaient rien, tout ce qu’ils entendaient, c’est qu’il leur fallait partir et tout ce qu’ils voyaient devant eux à gauche, c’était du noir. A droite, ce n’était pas beaucoup mieux, ils voyaient les lumières des villes du GIGLIO tout près, les canots de sauvetage “en retard”, le personnel débordé – par eux. Et ils sautaient.

Quand les chaloupes, enfin ont été au niveau du pont 3, ils se sont bousculés pour monter, écartant femmes et enfants, piétinant, étouffant au besoin. Oui, il y a eu des scènes de panique. Je ne peut pas le nier. Je pense que c’est là que les membres de l’équipage en première ligne ont eu peur à leur tour. Privés de communication in-live avec les Officiers et débordés par 3000 personnes, il y avait de quoi ! Le plan d’évacuation soigneusement mis au point, pensé et répété toutes les semaines leur faisait défaut. Mis en pièce par ce fléau : la panique d’une minorité.

Pourtant eux, sur le moment, ils ne l’ont pas montré. Ils sont restés à leur poste jusqu’au bout, faisant un bastingage de leurs corps pour les derniers passagers de droite lorsque la Concordia a eu 80° de gîte et que leurs pieds à eux n’avaient plus que le bastingage de fer pour support.

Le mécanisme de la dernière chaloupe s’est coincé et ils ont bien failli ne pas partir et être écrasés. Du côté droit, il ne restait plus personne de visible à bord sur le pont 3 sauf le Commandant SCHETTINO et les derniers Officiers de la passerelle. Lui a plus ou moins sauté d’instinct dans la dernière chaloupe, gardant ainsi son téléphone mobile au sec, ce qui l’a libérée parce qu’elle résistait. Les Officiers sont tombés à la mer.

Du côté gauche, les choses se passaient un peu moins mal en ce sens que les murs servaient de sol. Il fallait faire bien attention aux portes. Les chaloupes se sont bloquées aussi et cela se comprend peut-être plus facilement : elles ne pouvaient pas glisser le long de la coque qui émergeait par saccades. Alors, sous l’autorité du Commandant AMBROSIO qui, sur place, avait lui-même pris la décision de commencer l’embarquement, l’équipage a mis en place deux échelles de corde où les passagers ont pu descendre un par un

  • jusqu’aux canots de la Concordia qui faisaient l’aller-retour entre la côte et eux quand ils le pouvaient (il est petit, le Port du GIGLIO),
  • jusqu’à l’un des bateaux qui étaient venus spontanément porter secours s’il n’était pas occupé à éclairer la scène car les dernières lumières du paquebot s’éteignaient une à une
  • jusqu’aux secours demandés par le Commandant SCHETTINO à la Capitainerie du Port de LIVOURNE auxquels il avait fallu, pour ceux dont elle disposait, le temps matériel d’arriver.

Au terme de ce long billet où il n’est pas arrivé à les séparer, le souriceau de bord pense à tous, les passagers, l’Equipage, les Officiers, le Commandant Francesco SCHETTINO.

A tous et à leurs familles dont la vie a été cassée dans la nuit du 13 au 14 janvier de cette année et ressemble en ce moment au corps de la Concordia, dans l’attente du procès qui les délivrera en répondant officiellement par la voix des experts aux questions et aux pensées qui les taraudent :

mais qu’est-ce qui s’est passé ?

comment est-ce que tout ça a-t-il été possible, le bon comme le mauvais ?

nous sommes encore là pour le demander, ce n’est pas le cas de tous les nôtres, mais

finalement, qui devons-nous remercier, nous, pour être encore en vie ?

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